Qu'en sera-t-il de la tech dans le monde d'après ? Et, plus encore, de la deeptech, c'est-à-dire des technologies les plus avancées et des acteurs qui les portent, l'intelligence artificielle, les médicaments bioproduits, l'informatique quantique, la cybersécurité, etc. ? Les discussions internationales sur la fiscalité des géants du numérique vont sans doute s'accélérer. Et la conviction sera peut-être mieux partagée qu'une régulation plus franche de la tech et de ses géants est nécessaire.
Ces enjeux essentiels ne doivent pas masquer la question critique de la souveraineté. La crise a en effet clairement montré que nous n'étions plus souverains si nous ne contrôlions pas certaines technologies. Ce qui a prévalu pour les masques et pour les médicaments s'appliquera demain à l'informatique quantique, à l'intelligence artificielle ou à la bioproduction.
Si c'est une évolution profonde de remettre l'hôpital et la santé sur de meilleurs rails, le train d'après, ce sera celui du coût des nouveaux médicaments bioproduits, dont le prix peut atteindre des millions de dollars par dose. Ce qui n'est plus compatible avec le fait d'offrir la même santé à tous. Or, pour faire bouger ces lignes, nous sommes dépendants d'acteurs internationaux dont les priorités sont différentes des nôtres. Et il en va de même dans bien d'autres secteurs où nous serons pieds et poings liés si nous ne faisons rien.
Ce qui se cache derrière la question de la souveraineté, c'est tout simplement notre indépendance future. Notre indépendance déjà limitée aujourd'hui dans le domaine du numérique : il va falloir résister vivement et utiliser fermement la régulation si nous voulons éviter de devenir une colonie numérique. Pour la deeptech, la partie n'est pas jouée, mais elle s'annonce rude. L'avance prise par les Etats-Unis et la Chine est forte. Certains actifs clés existent en France et en Europe, qu'il s'agisse de start-up, de grandes entreprises, de propriété industrielle ou de bases de données. Mais c'est maintenant qu'il faut se battre.
La France n'a aucune chance de gagner seule. Elle se mobilise et les annonces récentes vont dans le bon sens, mais, seule, elle n'aura pas les forces suffisantes. C'est au niveau européen que les choses doivent se jouer.
Ne nous y trompons pas, c'est une guerre d'indépendance qu'il va falloir mener durant la prochaine décennie. Si nous avons assez de cartes en main, cette guerre se transformera en négociation internationale, résolue mais pacifique. Sinon, notre continent sera annexé. Insidieusement, mais sûrement. Avec les conséquences géopolitiques désastreuses qui en découlent.
Cette guerre d'indépendance de la deeptech, objectivement, nous étions partis pour la perdre, dans le monde d'avant. Une chose majeure s'est passée depuis, du fait de la crise. L'Allemagne et la France se sont mises d'accord pour relancer l'Europe, dans tous les sens du terme. C'est un événement. Il faut en profiter pour que ces deux pays, et l'Europe, prennent rapidement une initiative en faveur de la deeptech, c'est-à-dire en faveur de leur indépendance future. Il faut des financements massifs afin d'aider les acteurs clés à se développer en Europe sans être tentés par d'autres eldorados. Mais, disons-le clairement, ces financements ne suffiront pas. Il faut créer une agence européenne avec un mandat clair : assurer notre développement et notre indépendance technologique dans un certain nombre de secteurs clés. Une agence avec le bon niveau d'autonomie, sinon ce sera un échec.
La Communauté européenne du charbon et de l'acier a été une étape magnifique, essentielle, de la construction de l'Europe. C'était il y a presque soixante-dix ans. Les temps ont changé. Aujourd'hui, c'est la Communauté européenne de la deeptech qu'il faut créer grâce à l'élan paradoxalement permis par la crise. C'est vital. Si nous ne réagissons pas résolument, dès maintenant, le monde d'après sera effectivement différent du monde d'avant. Nous n'y serons plus libres de nos choix.
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